Les questions en lien avec les coûts de la santé, leur financement et les assureurs-maladie posent selon moi trois problèmes majeurs :
- Le financement par tête, le même quel que soit le revenu, sous réserve d’une aide, un subside pour les plus pauvres
- L’explosion des coûts de la santé
- L’organisation du système des assureurs-maladie, basé sur une pseudo-concurrence entre les caisses qui proposent toutes exactement les mêmes prestations, mais avec des primes différentes.
Le 9 juin prochain, nous allons voter sur des initiatives populaires qui portent sur les deux premiers sujets. Concernant le troisième, comme le peuple jurassien dans sa grande majorité, je souhaite la création au plus vite d’une assurance-maladie unique, source de transparence, d’économies et créant la possibilité de développer au mieux la prévention. Après plusieurs échecs dans les urnes, le moment viendra bientôt, je l’espère, de remettre l’ouvrage sur le métier, mais pour l’heure il est indispensable de mobiliser toutes nos forces afin de résoudre ce qui représente le problème majeur aujourd’hui : l’égalité injuste de toutes et tous devant la prime, source d’une profonde inégalité entre les personnes en fonction de leurs revenus.
J’ai l’habitude d’utiliser une boutade pour aborder ce sujet dans la campagne : je traite volontiers mon interlocuteur de « riche » … car il a la « chance » de devoir s’acquitter chaque mois de la même prime qu’un milliardaire vivant en Suisse.
Lors de la mise en place du système de la LAMal à la fin du siècle passé, les primes étaient très basses et l’habitude qui prévalait par le passé, à savoir que les primes de caisse-maladie représentaient le seul prélèvement « obligatoire » sans prise en compte du revenu, a été retenue : une prime égale pour toutes et tous, par tête. Ce qui était sans doute acceptable à l’époque, ne l’est clairement plus aujourd’hui. Le poids des primes est devenu insupportable pour de trop nombreux foyers et familles dans ce pays. On aide bien les plus pauvres, et encore, mais les autres, la grande majorité, doivent débourser environ 5000 à 6000 CHF par an avant que la caisse-maladie ne paie le premier franc pour eux. Pour certaines familles, cela peut atteindre 20% du revenu. C’est inacceptable. L’initiative propose de limiter à un maximum de 10% du revenu disponible la charge maximale pour les personnes et les familles. Une mesure solidaire et urgente. La récente mobilisation extraordinaire de la population lors de la votation sur une 13ème rente AVS a démontré que des réformes sociales justes et solidaires étaient possibles dans notre pays. Alors mobilisons-nous ! Nous pouvons y arriver.
L’autre initiative sur la santé propose d’introduire dans la loi le principe du frein à l’augmentation des coûts. Le texte soumis au vote propose de régler ce problème en imposant que « les coûts de la santé évoluent conformément à l’économie nationale et aux salaires moyens ».
Sur le papier certainement une bonne idée, mais en réalité cette proposition provoquerait obligatoirement un rationnement des soins. Car les coûts de la santé augmentent et ils vont encore augmenter à l’avenir. Et cela pour trois raisons, évidentes et bien documentées : le vieillissement de la population tout d’abord, ensuite les progrès et les découvertes médicales entraînant une amélioration des thérapies et des soins mais avec un prix certain à la clef, et enfin les demandes croissantes de la population, mieux informée, légitimement plus exigeante, d’autant plus que les gens doivent payer toujours plus pour accéder aux soins.
Sans surprise, comme par le passé, les coûts de la santé vont augmenter nettement plus (3 à 6% par année) que les salaires moyens et le PIB (moins de 2% par année), et l’initiative va imposer un rationnement des soins et le refus de la prise en charge par l’assurance-maladie LAMal de nouvelles thérapies et découvertes médicales.
Mais ces nouvelles thérapies seront néanmoins développées et dispensées aux personnes disposant des moyens de s’offrir une assurance complémentaire qui va devenir toujours plus chère. Cela s’appelle la médecine à deux vitesses.
Des économies dans le domaine de la santé sont indispensables, c’est évident. Mais plus de prévention et un contrôle strict des coûts des prestations par des tarifs adaptés me paraissent des mesures plus logiques. En aucune manière il ne faut s’attaquer à l’accès aux soins, et surtout assurer les mêmes soins à toutes et tous.
Dans toutes ces questions financières en lien avec la santé, trois principes fondamentaux s’imposent : la justice dans l’effort demandé à chacune et chacun en fonction de ses moyens, la solidarité entre toutes et tous dans le financement, et enfin pour les professionnels de la santé une attitude responsable et la volonté de fournir les meilleures prestations avec en permanence le souci de l’économicité et de la pertinence de leurs soins.
Tribune de Pierre-Alain Fridez, médecin généraliste et conseiller national, membre du Comité directeur du PSJ, parue dans Le Quotidien jurassien du 10 mai 2024.