Si de Gaulle avait arrêté l’histoire …

Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et autonomiste

Même si le climat politique est morose, surtout pour des raisons financières, il valait la peine de créer un canton du Jura. Si les Jurassiens n’avaient pas pris le pouvoir, nombre de réalisations n’auraient jamais vu le jour : HES santé, Théâtre du Jura, Transjurane, raccordement au TGV Rhin-Rhône (qui doit être redynamisé). Au niveau de la croissance de la population et de l’emploi, le bilan du canton du Jura est meilleur que celui du Jura bernois.

Les peuples font l’histoire

Le 1er janvier 2026, l’arrivée de Moutier renforcera la République jurassienne. Pour l’officialité, ce transfert marquera « la fin institutionnelle du conflit jurassien ». Or, ce ne sont pas les notables, mais les peuples, qui font l’histoire. Et ceci d’autant plus que si l’on suivait les théories de Francis Fukuyama (La fin de l’histoire et le Dernier Homme, 1992), on ne connaîtrait ni l’AVS, ni les droits politiques des femmes ! On peut se demander ce qui se serait passé si le général de Gaulle, suite à la débâcle, avait « arrêté l’histoire », au lieu de lancer son appel à la résistance du 18 juin 1940. Il se pourrait que le drapeau à croix gammée flotte encore sur une partie de l’Europe. Peut-être excessive, l’hypothèse mérite d’être analysée, en regard de la progression de l’extrême droite au Parlement européen (40 % en France toutes tendances confondues) et d’une minorité de l’UDC qui refuse d’interdire les symboles néo-nazis.

De nouvelles pistes

Mais il ne faut pas se bercer d’illusions. Mis à part Belprahon et quelques autres communes, nous n’assisterons pas à une réunification au sens classique du terme. Car les facteurs fondamentaux (langue et origine) qui déterminent le soutien à la cause autonomiste ou l’engagement antiséparatiste n’ont pas fondamentalement changé en un demi-siècle. Sauf à Moutier, où le français a progressé, ce qui montre le poids déterminant de la langue comme facteur explicatif de la Question jurassienne. D’autres pistes doivent être explorées. Celle d’un canton de l’Arc jurassien en est une. D’aucuns en ont souri, mais si un tel ensemble existait, il permettrait de mieux affirmer les intérêts de nos régions face au pouvoir central, lorsqu’il s’agit par exemple de redéfinir les horaires de chemin de fer ou de définir une politique économique et industrielle régionale. Relancée en mars, l’idée d’une fusion entre Le Landeron (NE) et La Neuveville correspond à cette perspective.

Un nouveau pacte social

Selon Jean-François Roth, le Jura manquait de projets. Certes, mais quels projets ? Sur les plans sportif et culturel, le Jura est à l’avant-garde. Ce qui manque, c’est un nouveau pacte social. Quelques idées pour le construire : favoriser la formation tout au long de la vie, attirer des antennes universitaires liées à notre tradition industrielle, instaurer des mesures visant à réduire la durée du travail (semaine de 4 jours), subordonner l’aide publique aux entreprises à la conclusion d’une convention collective de travail (CCT). En l’espèce, le Jura et la Suisse sont en retard, avec un peu plus de 50 % des salariés bénéficiant d’une CCT contre 90 % dans les pays nordiques. Pourquoi ne pas imaginer un plan d’action visant à offrir une couverture conventionnelle à au moins 80 % des travailleuses et des travailleurs, comme le demande une directive européenne ? Il est nécessaire d’articuler les luttes sociales au combat jurassien, car la division de nos sociétés en classes est liée de façon inextricable à la fragmentation de l’humanité en groupes culturels, ethnies et nationalités, comme Les Temps modernes, la revue de Jean-Paul Sartre, le soulignait dans son numéro de septembre-octobre 1973.

La souveraineté, c’est quoi ?

Pour mener des réformes, il faut de l’argent. Trois réflexions :

• La dette ne doit pas être dramatisée, car c’est au prix d’un fort endettement que les Etats-Unis et l’Union européenne ont réduit leur taux de chômage.

• Il faudra de nouvelles recettes pour rétablir l’équilibre financier. Pourquoi ne pas imposer fortement les héritages –source d’inégalités – qui dépassent un certain montant ?

• Rosalie Beuret Siess a eu raison de dire qu’il faut réformer la péréquation financière dans un sens plus favorable aux cantons faibles. Mais on doit aller plus loin, en instaurant une harmonisation fiscale. À revenu identique, un Jurassien paie trois fois plus d’impôt qu’un Zougois. À l’avenir, on pourrait imaginer que la facture du Jurassien soit plafonnée à une fois et demie celle du contribuable de Suisse centrale. D’aucuns estiment qu’il s’agit d’une atteinte à la souveraineté cantonale. Mais à quoi sert la souveraineté si on ne peut la financer intégralement ?

Tribune parue dans Le Quotidien jurassien du 11 juin 2024

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