Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical
Même s’il ne faut jamais crier victoire trop vite, il y a de relativement bonnes chances pour que la « réforme » du 2e pilier soit rejetée par le peuple le 22 septembre. Après avoir obtenu une 13e rente AVS et refusé l’augmentation de l’âge de la retraite à 66 ans, le 3 mars dernier, la gauche politique et syndicale réussirait un triplé historique. Il faudra alors songer aux suites à donner à ces trois victoires.
2e pilier : une arnaque
La révision de la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP, 2e pilier) est une arnaque. Cette « réforme » encourage les baisses de rentes qui frappent le 2e pilier depuis 15 ans en réduisant le taux de conversion de 12 % ! Les baisses de rentes iront jusqu’à 3’200 francs par année. Elles touchent surtout les professions à salaire moyen. En parallèle, la révision revoit à la hausse les déductions obligatoires. Il en coûtera jusqu’à 2’400 francs de plus par an aux salariés. Les salaires nets diminueraient encore, dans un contexte de hausse des prix. Ces atteintes aux droits des travailleurs et des travailleuses devraient favoriser un « non » dans les urnes le 22 septembre, à quoi s’ajoute le fait que la « réforme » est aussi contestée par huit organisations économiques, dont Gastrosuisse et le Centre patronal romand. Les opposants devraient bénéficier de la perte de confiance de la population dans les autorités, suite à l’annonce d’une monumentale erreur dans le calcul des projections AVS, mais aussi de faux chiffres à propos du 2e pilier !
Retraite des femmes et 13e rente
L’évolution financière de l’AVS a été présentée de manière beaucoup trop négative, les prévisions étant de 4 milliards inférieurs – ce qui est considérable – à ce qui était prévu pour 2033. Comme ces prévisions ont été l’une des principales raisons du « oui » serré (50,5 %) en septembre 2022 au relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, les Femmes socialistes et les Verts ont déposé des recours contre le résultat de la votation. Leur démarche est légitime, car la brochure distribuée avant la votation contenait des formules erronées. Il appartiendra au Tribunal fédéral de dire si le scrutin sera répété ou non. Selon un sondage publié par Le Temps, seuls 39 % des Helvètes (mais 53 % des Romands) sont pour un retour aux urnes ; un expert estime qu’en cas de nouveau scrutin, le résultat serait à nouveau très serré. L’autre grand chantier est celui de la 13e rente AVS. Depuis le scrutin du 3 mars, sa mise en œuvre patine. Il serait temps que le Conseil fédéral et plus encore le Parlement se hâtent afin que cette 13e rente entre en vigueur en 2026. Le comble, c’est que le gouvernement avait mis deux variantes en consultation (financement par les cotisations sur les salaires ou combinaisons cotisations sociales/hausse de la TVA), mais que sous la pression du patronat, il en a retenu une troisième, soit le seul relèvement de la TVA ! Mais l’erreur de 4 milliards montre avant tout que la 13e rente est parfaitement supportable.
Nécessaire rééquilibrage
Philosophiquement, je soutiens l’idée qu’il conviendrait de supprimer le 2e pilier (et même le 3e !) au profit d’un régime des retraites fondé sur la seule AVS, solution qui serait plus sociale que le système actuel. Mais je ne crois pas à sa faisabilité. On peut en revanche imaginer un rééquilibrage des rapports entre le 2e pilier et l’AVS, au profit de celle-ci. Dans son essai, L’Affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs (Alphil, 2023), le journaliste Pietro Boschetti a montré que dans l’AVS, 100 francs de cotisation financent 99 francs de rente, contre 76 francs seulement dans le 2e pilier, où les frais administratifs sont bien plus importants que dans le premier !
Via les conventions collectives
La lutte doit non seulement se poursuivre sur les plans parlementaire et législatif, mais aussi au niveau des branches économiques, via les conventions collectives de travail (CCT). Dans la construction, les travailleurs peuvent prendre leur retraite à partir de 60 ans. Dans différentes branches de l’artisanat, il est aussi possible de quitter la vie active avant 65 ans, alors que dans l’horlogerie, une rente-pont permet de prendre sa retraite à 64 ans. Dans l’horlogerie toujours, une solution originale a en été développée, à savoir la retraite progressive, qui permet aux salariés de réduire leur temps de travail durant les deux années qui précèdent l’âge légal de la retraite, pour ne plus travailler que 3 jours par semaine (mais payés 4) lorsqu’ils ont 64 ans. Ces modèles méritent d’être développés. Mais cela suppose des luttes et une amélioration du taux de syndicalisation : 70 % dans le bâtiment, contre … 15% en moyenne nationale.
Tribune parue dans le journal Le Quotidien jurassien du 5 septembre 2024