Tribune: l’initiative sur l’autodétermination: un texte inutile et dangereux

La Suisse est un petit pays au centre du monde et nous avons tout intérêt à une réglementation claire des rapports entre les Etats, car dans les faits le droit international freine avant tout les velléités de quête de pouvoir des plus puissants.

L’UDC veut aujourd’hui remettre en question nos relations avec nos voisins et partenaires avec lesquels nous avons signé moult traités, pour placer au-dessus de tout notre Constitution. Les textes adoptés par le peuple suisse devraient primer sur le droit international, et en cas de discordance, notre gouvernement devrait s’engager à négocier l’alignement des autres sur nos positions (la belle affaire !), et le cas échéant, en cas d’échec des pourparlers, tout simplement dénoncer l’accord. Au risque de faire passer la Suisse pour un pays qui ne respecte pas ses engagements et de nuire à notre place économique et à l’emploi, car les affaires recherchent des règles claires et la stabilité.

L’UDC joue sa partition contre les vrais intérêts du pays

Mais au fait pourquoi l’UDC mène-t-elle cette nouvelle croisade ? Ce parti se plaint de ce que régulièrement les parlementaires et les tribunaux suisses n’appliquent pas à la lettre les décisions populaires qu’il a réussi à faire passer devant le peuple. L’UDC lance des initiatives populaires inapplicables, car irrespectueuses de droits fondamentaux contenus dans les accords internationaux que notre pays a signés, en particulier la Convention européenne des Droits de l’Homme. Les textes proposés par l’UDC sont simplistes, xénophobes et basés sur des notions manichéennes qui ne laissent aucune place à la nécessaire prise en compte des circonstances liées à chaque cas particulier, dans le respect du principe de proportionnalité. Prenons l’exemple bien connu de « l’initiative pour l’expulsion des criminels étrangers ». Pour le parti de Monsieur Blocher, tout étranger qui a commis un crime doit subir une double peine : en plus de la prison, il doit être expulsé du territoire suisse. Sans discussion. Mais dans les faits, les juges doivent tenir compte de paramètres oubliés par l’UDC qui se veut, répétons-le, simpliste, car ce que ce parti recherche réellement c’est juste de la propagande pour mobiliser et augmenter…son électorat … La notion de crime recoupe des réalités très       différentes: cela va des pires atrocités, j’en conviens, mais cela peut également correspondre à un crime commis avec des circonstances atténuantes, une personne qui tue pour se défendre par exemple… Il en est de même pour la notion d’étranger : parle-t-on d’une personne étrangère, depuis peu en Suisse, sans attache, ou d’un étranger de la troisième génération, une personne qui a toujours vécu en Suisse, qui y est intégrée et y a construit sa vie, chez nous, en fait chez lui… On ne peut forcément pas juger un « criminel étranger » sans tenir compte de ces différents paramètres.

L’adhésion de la Suisse à la Convention européenne des Droits de l’Homme menacée

Et si les résultats de la votation du 25 novembre devaient à l’avenir, dans une problématique comparable issue d’une de ces votations avec un texte inapplicable, contraindre les juges de notre pays à juger sans tenir compte de ce principe de proportionnalité, alors la Suisse pourrait être interpellée par ces fameux juges de Strasbourg que l’UDC veut combattre, les juges de la Cour européenne des Droits de l’Homme, pour motif que nous ne respecterions pas les principes du droit supérieur international, auquel nous avons adhéré en 1974. Avec comme conséquence à la longue, si l’on suit l’UDC, l’éventuelle dénonciation par notre pays de cette Convention. Ce texte représente un moyen essentiel pour le respect des Droits fondamentaux de chaque justiciable européen : il offre à chaque personne provenant de l’un des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe la possibilité de recourir contre une décision de sa juridiction nationale. Il faut bien se rappeler qu’à l’époque, en adhérant à la CEDH, le peuple suisse s’était placé sous la protection de la cour du même nom, pour se garantir une dernière instance de recours en cas de violation de ses droits. La cour est composée de 47 juges, un par pays. A l’exception de la Suisse qui aujourd’hui en dispose de deux, car c’est un juge suisse qui représente le Liechtenstein.

Cette convention est réellement menacée. Dans son texte d’initiative, l’UDC a prévu deux particularités permettant un effet rétroactif : d’une part les nouvelles dispositions pourraient s’appliquer aux traités internationaux conclus avant l’acceptation de l’initiative et d’autre part ne seraient protégés que les textes à l’époque sujets ou soumis au référendum. Lors de l’acceptation de la Convention européenne des Droits de l’Homme en 1974, il n’était dans les usages de soumettre de telles ratifications au suffrage populaire… donc les jeux sont ouverts.

Notre pays a tout à perdre

Cette initiative introduirait des mécanismes rigides dans nos relations juridiques avec les autres Etats, ternirait l’image de la Suisse ouverte et humaniste, et serait un signal très négatif pour l’avenir de la Genève internationale.

Remettre en question nos relations avec nos voisins pourrait signifier à moyen terme pour la Suisse, moins de prospérité, moins de sécurité et à coup sûr plus d’isolement… et c’est ce que veut l’UDC qui rêve encore et toujours de « l’Alleingang ».

Pierre-Alain Fridez, conseiller national, vice-président de la délégation suisse au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe          

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