Toute possibilité de diminution de la pression fiscale bénéficie d’un accueil favorable. Toutefois, en regardant de plus près l’objet sur lequel nous nous prononcerons lors des votations du 27 septembre prochain et en grattant le vernis de cette pseudo aimable proposition, la réalité est pour le moins décevante. Cette modification ne concerne qu’une minorité de familles, dans le Jura et en Suisse.
A la base, une idée intéressante
Préciser le contexte d’une intention qui s’annonçait comme vertueuse et équilibrée montre la dérive crasse entre le projet initial du Conseil fédéral et l’objet soumis à votation. Afin de favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et de participer aux charges familiales, l’objectif de départ visait à augmenter la déduction fiscale pour les frais de garde des enfants par des tiers en la faisant passer de 10’100.- à 25’000.- au maximum. Ce choix engendrait une perte fiscale raisonnable de l’ordre de 10 millions, car en réalité peu de personnes ou de familles consacrent dans leur budget annuel des frais de garde de plus de 10’100.-.
Un projet détourné par la droite aux Chambres fédérales
Par la suite, la droite a dénaturé le projet et voté une aide aux familles, indépendamment de leur organisation en matière de garde. Cette décision se traduit par une hausse de la déduction fiscale générale pour enfant(s) à charge jusqu’à l’âge de 18 ans (25 ans en formation) de 6’500.- à 10’000.-. Ce choix n’a plus rien à voir avec des frais de garde et se traduit par une perte fiscale annuelle de l’ordre de 370 millions. Une partie de cette perte sera répercutée sur les finances des cantons et des communes, qui sont déjà soumises à rude épreuve en ce moment. Il est utile de préciser que la proposition a été acceptée sans consultation des autorités concernées et contre l’avis même du grand argentier Ueli Maurer !
Le projet serait défendable, s’il s’adressait aux familles qui ont le plus besoin d’augmenter leur pouvoir d’achat pour nouer les deux bouts à la fin du mois. Or, il n’en est rien.
Seules 5,2 % des familles sont concernées.
Premièrement cet allègement fiscal ne profite qu’aux personnes qui paient de l’impôt fédéral direct (IFD). Dans le Jura, 36 % des contribuables n’en paient pas et ne sont dès lors pas concernés par le projet de loi.
Deuxièmement pour toucher le maximum de la déduction, soit 455.- par année et par enfant, on doit appartenir à la catégorie des contribuables avec un revenu imposable de plus de Fr. 150’000.- du point de vue de l’IFD (plus de 200’000.- de revenu annuel brut). Environ 450 couples sont concernés, soit seulement 5,2 % des familles avec enfant(s) dans notre canton. C’est peu ! Dès lors, même s’il ne s’agit aucunement de déconsidérer ces familles, l’investissement est singulièrement disproportionné par rapport à ses effets. Force est de constater que le slogan d’une mesure en faveur de la classe moyenne vacille clairement face à notre réalité jurassienne !
En regardant de plus près encore, on peut observer à titre d’exemple, qu’un couple avec 2 enfants gagnant un revenu brut mensuel de 6’500.- (78’000.-/an) pour l’un des conjoints et de 3’400.- (41’000.-/an) pour l’autre conjoint, soit au total 9’900.- brut par mois (118’800/an) ne paie pas d’impôt fédéral direct. Ce même couple avec 2 enfants, mais avec un seul revenu, ne paiera pas d’IFD jusqu’à un revenu brut mensuel de 8’500.- par mois (102’000.-/an).
Les données chiffrées sont fastidieuses à analyser. Mais elles ont le mérite d’éclairer une réalité, qui elle s’énonce de manière simple : pour un couple avec deux enfants, il faut gagner au minimum un revenu brut de 8’500.- par mois, voire de 9’900.- si les deux conjoints travaillent, pour bénéficier d’une déduction minime.
En conclusion, si on veut vraiment aider toutes les familles, on pourrait avantageusement avec 370 millions verser environ 18.- par mois d’allocations familiales supplémentaires pour chaque mineur-e, soit 215.- par année ou encore sensiblement augmenter la réduction pour primes de caisse maladie les concernant.
L’objet soumis au vote fait fausse route. Il n’est pas équilibré, ne concerne que trop peu de familles, n’aide pas les gens qui en ont le plus besoin. Vous trouvez cela logique ? Un NON s’impose.
Elisabeth Baume-Schneider, Conseillère aux Etats
Tribune publiée dans le Quotidien jurassien, le 10 septembre 2020