Dans une tribune publiée le 31 août dernier, le conseiller national Jean-Paul Gschwind, fervent défenseur depuis toujours de l’achat d’avions de combat, prend prétexte de la parution de mon livre Sécurité et défense de la Suisse. Casser les tabous, oser les solutions, pour m’affubler de toute une série de critiques et prises de position.
Non, je n’ai jamais remis en cause la neutralité de la Suisse. M. Gschwind le saurait s’il avait réellement lu mon livre ; on peut y lire page 92, « Nous voulons et devons rester officiellement neutres ».
En 2014, le Gripen E/F retenu par le Conseil fédéral n’existait pas. En 2019, il a été retiré de la sélection opérée par le Conseil fédéral, car pas encore opérationnel. Le jet italien M-346FA, qui intéresse l’Autriche et l’Italie, est lui opérationnel. Il a obtenu sa certification militaire par le DAAA italien (Aeronautical Armaments and Airworthness Departement) en juin dernier et est doté de missiles comme le F/A-18 et d’un radar performant. Il peut atteindre Mach 1, vole à une vitesse de croisière de 1050 km/h, monte à près de 14.000 mètres d’altitude, et a l’avantage de décoller en deux minutes, soit plus de dix minutes de moins que les avions de chasse traditionnels. Et en dix minutes, on en fait du chemin dans un petit pays comme la Suisse… Ses constructeurs le positionnent tout particulièrement sur le marché de la surveillance aérienne en temps de paix, le régime que connait la Suisse depuis des décennies… durant les heures de bureau. Avec une capacité de tir en cas de situation extrême, tout en sachant qu’aujourd’hui un avion de chasse ne peut objectivement attaquer la Suisse, car ce type d’avion est l’apanage des Etats (aucun n’a l’intention de nous attaquer) et les terroristes n’en disposent pas.
Je constate que M. Gschwind reconnaît que le prix de l’acquisition sur 30 ans sera équivalent à 20 milliards de francs au moins…Nous sommes d’accord.
L’entreprise de conseil ACAMAR qui a rédigé le rapport pour le PSS l’aurait fait pour des motifs financiers ? Oui ces gens ont été payés. Les personnes qui font du lobbying pour les affaires compensatoires en lien avec l’achat de ces avions de combat travaillent-elles bénévolement ? Tout travail mérite salaire. Et les gens qui ont établi ce rapport ont au moins connu la guerre de près…ce qui n’est pas le cas de beaucoup de militaires en Suisse…
M. Gschwind conteste l’utilité des missiles antiaériens… alors qu’ils sont les seuls qui pourraient nous protéger contre les menaces de missiles de croisière ou balistiques, ou de drones. Les avions de combat sont en l’espèce impuissants. Et je n’ai jamais contesté la nécessité d’avions de chasse pour identifier un aéronef. Chaque moyen de défense (système sol-air ou avion) a ses indications spécifiques. La lecture de mon livre vous aurait éclairé sur le sujet.
Oui, dans mon livre, j’en appelle à une dotation suffisante en hélicoptères, pas de combat, mais de transport, pour être apte à apporter secours et assistance aux populations civiles en cas de catastrophes naturelles par exemple.
Je pourrais continuer à énumérer mes réponses, mais je préfère résumer ma façon de voir les choses :
- Le risque de voir la Suisse et le centre de l’Europe impliqués à moyen ou long terme dans un conflit traditionnel parait quasiment inimaginable. Même le Conseil fédéral en convient : « A ce jour on ne peut identifier aucun Etat ni aucun groupe qui dispose des capacités pour attaquer la Suisse par des moyens militaires et qui manifeste l’intention de le faire ».
- Notre pays est situé en plein milieu du dispositif de l’OTAN, la plus grande organisation militaire du monde, composée de pays avec qui nous avons établi des rapports amicaux et des relations économiques solides et pérennes. L’article 5 du traité de Washington, le traité fondateur de l’OTAN, stipule que si un Etat membre est attaqué, c’est tout l’OTAN qui serait attaqué.
- Le seul scénario qui pourrait justifier l’acquisition des 30 ou 40 avions de combat proposés par le Conseil fédéral correspond à une attaque de la Suisse par des flottilles d’avions de chasse ennemis venant de au-delà de la zone d’influence de l’OTAN ; ce scénario du pire, inimaginable, signifierait que l’OTAN aurait été battue…
- La protection de l’espace aérien correspond pour l’essentiel à la surveillance du trafic aérien civil. Elle ne nécessite par une flotte d’avions de combat parmi les plus performants. Des avions de chasse légers plus économes, moins polluants, suffisent. Ainsi nous ménagerions nos 30 F/A-18 pour conserver une capacité de combat le cas échéant, au long cours.
- Des menaces provenant de l’espace aérien peuvent concerner notre pays, en lien notamment avec le terrorisme : sous la forme de missiles, balistiques ou de croisières, sans oublier les drones. Face à ces risques concrets, je le répète, les avions de chasse sont impuissants : un système de défense sol-air performant est nécessaire, doublé d’un système de détection radar très efficace.
- Des menaces concrètes bien identifiées nous menacent : le terrorisme, les menaces cyber, les problèmes climatiques ou les pandémies. Mettons plus de moyens là où il le faut vraiment…
- Avec la crise du Covid-19, notre pays est confronté à des défis énormes dans les domaines de la santé, du social ou de l’économie. Il ne peut être question aujourd’hui de miser, sans réfléchir, l’essentiel des moyens attribués pour la sécurité du pays sur la base d’hypothèses irréalistes.
Pour toutes ces raisons, je vous appelle à déposer un NON réaliste et pragmatique dans les urnes le 27 septembre prochain.
Pierre-Alain Fridez, conseiller national