Avec les multiples objets soumis au vote le 28 novembre, tant sur le plan fédéral que dans les cantons, l’année politique 2021 s’est plutôt bien terminée pour la gauche politique et syndicale et, de façon plus générale, pour le camp du progrès et de l’ouverture.
Fiers d’être Jurassiens
« Je n’ai jamais pensé que je pourrais être aussi fier d’être Québecois », avait lancé René Lévesque le 15 novembre 1976 à Montréal, au soir de la victoire du parti indépendantiste lors des élections de la Belle Province. En s’inspirant de cette formule, les Jurassiens peuvent aussi être fiers, puisqu’ils se situent au deuxième rang des cantons – derrière Bâle-Ville (66,6 %) – qui ont le plus massivement approuvé l’initiative sur les soins infirmiers, avec 66,4 % des voix (et même 66,5 % dans le Sud du Jura !), contre 61 % en moyenne nationale. Celle-ci permettra d’améliorer les salaires et les conditions de travail des soignantes et des soignants, de renforcer la formation et d’offrir à chacun des soins suffisants et de qualité. La crise sanitaire liée au Covid-19 explique en partie ce grand mouvement de sympathie à l’égard du personnel infirmier. Mais il faut aussi souligner la remarquable campagne menée par les associations et les syndicats actifs dans le domaine de la santé. A terme, ce oui pourrait aussi favoriser un renforcement de l’accès solidaire aux soins de base en Suisse. Mais aussi le déclenchement d’une dynamique plus générale pour une amélioration des conditions de travail pour toutes les professions dites essentielles : éboueurs, personnel de vente, postières et postiers. A ce propos, les historiens Ludivine Bantigny et Ugo Palheta (Face à la menace fasciste, Editions Textuel) ont montré qu’en France, un égoutier avait une espérance de vie inférieure de dix-sept ans à la moyenne ! Les catégories sociales les plus aisées ne veulent manifestement pas de ce progrès, puisqu’à part Appenzell Rhodes Intérieures, l’initiative a surtout été rejetée par les régions les plus riches du pays, comme la « Goldküste » (côte dorée) zurichoise ou la rive gauche genevoise. Mais cela n’enlève rien au caractère historique de ce succès, d’autant plus que la participation a atteint 65,7 %, du jamais vu depuis l’introduction des droits politiques des femmes, en 1971 !
Le 7e score de tous les temps !
L’acceptation de l’initiative est aussi susceptible de redynamiser l’utilisation des droits populaires, à condition toutefois.de bien cibler le contenu des initiatives et de ne pas en lancer une tous les trois mois ! Jusqu’ici, sur 223 initiatives soumises au vote du peuple et des cantons depuis l’introduction de l’initiative populaire, en 1891, seules 24 (soit 10,8 %) ont été acceptées. L’initiative sur les soins infirmiers en fait partie. Mieux encore, elle appartient au club très fermé des 8 initiatives qui ont franchi la barre de 60 % des voix et obtient le 7e meilleur score en 130 ans d’existence de ce droit ! Voilà qui doit faire pâlir d’envie les adversaires de la loi Covid-19 qui, une fois de plus, ne sont pas parvenus à faire tomber le peuple suisse dans le piège du complotisme et des thèses anti-scientifiques et anti-médicales. Du même coup, la majorité des citoyennes et les citoyens ont légitimé la vaccination et le « pass ».
Dimanches sauvés
Autre grand sujet de satisfaction, le rejet, par les citoyennes et les citoyens genevois, à près de 54 % des voix, du projet du Conseil d’Etat prévoyant l’ouverture des magasins trois dimanches par année et le samedi jusqu’à 19 au lieu de 18 heures. C’est une grande victoire pour la gauche et les syndicats qui avaient lancé le référendum au nom de la protection des conditions de travail dans le secteur. Les horaires restent donc inchangés. L’ouverture trois dimanches par année reste possible, mais est conditionnée à l’existence d’une convention collective de travail étendue, c’est-à-dire obligatoire pour tous les commerces. Ce succès est d’autant plus important qu’il intervient moins de 9 mois après le refus des citoyennes et citoyens bernois de porter de deux à quatre le nombre des dimanches par année où les magasins peuvent ouvrir sans avoir à demander d’autorisation. Le 7 mars dernier, ils avaient alors rejeté par 53,9% des votants cette modification de la loi sur le commerce et l’industrie. Sur le plan social toujours, on se réjouira encore de la décision prise par les citoyennes et les citoyens de Bâle-Campagne, à près de 60 % des voix, d’accorder un crédit de 1,5 million de francs pour des mesures visant à favoriser l’intégration des étrangers. Leurs voisins de la ville ont de leur côté accepté une initiative pour une meilleure protection des locataires.
Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical
Tribune publiée le 2 décembre 2021 dans le Quotidien jurassien