AVS : Une régression sociale au goût amer

Tout comme les hommes, les femmes travailleront désormais jusqu’à 65 ans. Le 25 septembre, les citoyennes et les citoyens suisses en ont décidé ainsi. Cet échec de la gauche politique et syndicale a un goût amer, parce que le résultat est extrêmement serré (50,5 % de oui !), mais aussi parce que c’est un conseiller fédéral socialiste qui a conduit ce projet rétrograde. Les syndicats, les collectifs féministes et les partis de gauche s’étaient pourtant lancés confiants dans la bataille, dans la mesure où en moins de 50 jours, ils avaient récolté plus de 100’000 signatures à l’appui de leur référendum, alors que 50’000 suffisaient.

Röstigraben

Le résultat de la votation a fait apparaître un profond Röstigraben. Les six cantons romands et le Tessin ont rejeté ce recul social (la palme revenant au Jura avec 71 % de non), de même que trois cantons alémaniques, Bâle-Ville, Soleure et Schaffhouse. En revanche, les dix-sept autres cantons de langue allemande l’ont acceptée. Et cela parce que les Romands entretiennent un rapport plus positif avec l’Etat que les Alémaniques. La gauche et les syndicats ont en outre une meilleure implantation en Suisse romande que dans le reste du pays. A contrario, ce sont surtout des hommes âgés et bien rémunérés de Suisse alémanique qui ont voté pour l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes.

Machisme et intox

Les causes de cet échec peuvent être résumées comme suit :
• Un réflexe machiste s’est manifesté, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes étant approuvé par la majorité des hommes, mais combattu par la majorité des femmes : 15 % d’écart selon les études menées en amont.
• Toujours favorables à ce projet, les sondages ont découragé une partie des électrices et des électeurs.
• La droite et la majorité des médias ont parlé de réforme, alors qu’il s’agissait d’une régression.
• Les difficultés financières de l’AVS ont été exagérées.
• La participation n’a atteint que 51 %. Or, l’abstention est surtout le fait des catégories populaires, celles qui avaient le plus à perdre dans ce projet. L’espérance de vie est d’ailleurs proportionnelle au revenu. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, a montré qu’aux Etats-Unis, les 1 % les plus riches vivent près de quinze ans plus longtemps que les 1 % les plus pauvres !

Confusion socialiste

Cette campagne a été habitée par un sentiment de confusion. Alors que l’opposition était incarnée par Pierre-Yves Maillard, député PS au Conseil national et président de l’Union syndicale suisse (USS), c’est un autre socialiste, le conseiller fédéral Alain Berset, qui a mené l’offensive antisociale et anti femmes au nom du gouvernement. Considérant ce succès comme le plus important de sa carrière, Alain Berset s’insère dans le social-libéralisme des Tony Blair, Gerhard Schröder et François Hollande. Comme le souligne la Verte Léonore Porchet : « Il restera dans l’histoire avec cette étiquette-là : le ministre socialiste qui a augmenté l’âge de la retraite sans améliorer les rentes sur le long terme. » Le citoyen lambda a assurément eu de la peine à s’y retrouver. On dira que le système est ainsi fait. Certes, mais il n’est pas immuable et le PS aurait intérêt à réexaminer sa participation au Conseil fédéral, ou du moins ses modalités. Tout en se demandant pourquoi le PS est passé de 28,6 % des voix en 1943 (année de l’entrée du premier socialiste au gouvernement, Ernst Nobs) à 16,3 % aux élections fédérales de 2019. Ce débat n’est pas nouveau. En mai 1993, Peter Bodenmann, alors président du PSS, recevait ce message : « Il faut un grand parti d’opposition, sans quoi la démocratie est un leurre. S’il se retire, je pense que le PS se renforcera considérablement dans l’opinion publique. » Son auteur s’appelait … Roland Béguelin !

Le combat continue

Malgré cette défaite, le combat continue. Il conviendra de s’opposer à l’initiative des jeunes libéraux-radicaux qui vise à porter l’âge de la retraite à 66 ans pour toutes et tous, puis à aligner automatiquement l’âge de la retraite sur la progression de l’espérance de vie. Il faudra ensuite s’engager pour les initiatives de l’USS pour une 13e rente AVS et pour un renforcement de l’AVS avec les bénéfices de la Banque nationale. Deux alternatives au système de retraite actuel doivent être envisagées : l’octroi de la retraite complète après 40 ans de cotisations (ou 41 ou 42, ça se discute) ; l’introduction de la retraite progressive, qui permet de réduire son temps de travail dans les années qui précèdent la fin de l’activité professionnelle. Enfin, il faudra vérifier que la droite mette en pratique ses beaux discours sur l’égalité dans les domaines des salaires, de la formation et de l’accès aux postes à responsabilités.

Par Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical

Tribune parue dans le Quotidien jurassien, le 4 octobre 2022 /pch

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