La hausse des primes d’assurance maladie annoncée à fin septembre (8,7 % en moyenne nationale, 9,1 % dans le Jura) dépasse l’entendement. De sorte qu’il faut mettre en œuvre les propositions du Parti socialiste et du mouvement syndical : primes ne dépassant pas 10 % du revenu, caisse publique unique et cotisations fixées selon le revenu, système qui profiterait à 85 % des assurés. Mais ces projets ne résolvent pas la croissance continue des coûts de la santé, qui mangent une part toujours plus importante de la richesse nationale (12 % aujourd’hui, bientôt 14 %). Il importe donc d’adopter des mesures audacieuses. Nous en formulons quelques-unes, tout en admettant que certaines ont un caractère volontairement provocateur.
Salaire maximum : 702’000 francs
Il conviendrait de fixer un salaire maximum pour les médecins, fixé à 702’000 francs par année (234’000 francs de plus qu’un conseiller fédéral), selon la formule suivante : salaire minimum de 4’500 francs revendiqué par l’Union syndicale suisse X 13 mensualités X 12 en se basant sur l’initiative 1 :12 de la Jeunesse socialiste (le mieux payé ne peut pas gagner plus de douze fois le salaire du moins bien rétribué). D’aucuns jugeront ce montant excessif, mais n’oublions pas que des médecins – minoritaires et pas très nombreux dans le Jura – gagnent plus de 1 million par année, et un chiffre trop bas pourrait freiner la venue de spécialistes. A l’inverse, une amélioration des salaires et des conditions de travail du personnel soignant relève de l’urgence. Il importe aussi de définir une planification hospitalière inter-cantonale, afin d’éviter des investissements superflus et coûteux. Même si des progrès ont déjà été accomplis, une action doit être menée pour abaisser le prix des médicaments et favoriser les génériques, en étudiant une nationalisation partielle de la branche, pour les besoins essentiels. Car si certains médicaments coûtent trois fois plus en Suisse qu’en France, ce n’est pas seulement parce que les salaires des aide-pharmaciennes sont moins élevés outre-Jura ! Si l’on sait que le patron de la caisse SWICA a gagné 735’000 francs en 2022, que les géants de l’industrie pharmaceutique ont fait des bénéfices faramineux en 2022 (4,2 milliards pour Novartis, 13,5 milliards pour Roche), on aurait tort de se gêner.
Médecine du travail
Il faut aussi développer davantage la médecine préventive et surtout la médecine du travail. Par rapport à d’autres Etats, en particulier les pays scandinaves, cette dernière en est encore au stade préhistorique en Suisse. C’est regrettable, car si notre pays avait été plus offensif, on aurait peut-être évité des drames, ou du moins atténué les douleurs qu’ils ont engendrées. L’amiante est interdite depuis plus de 30 ans dans notre pays, mais la Suva, premier assureur public du pays, s’attend à 3’300 cas supplémentaires d’ici à 2040, alors qu’il y a déjà eu 2’200 décès en Suisse dus à l’exposition à l’amiante.
Les lobbies dehors
La présence des lobbies (groupes d’intérêt en français), qu’ils soient patronaux, syndicaux, agricoles ou écologiques, dans les institutions est une donnée permanente du système politique suisse. Jusqu’ici, elle n’a pas trop nui à son fonctionnement. En revanche, le poids excessif des représentants des caisses maladie, des hôpitaux ou de l’industrie pharmaceutique est l’un des principaux freins à des réformes fondamentales. Il convient donc d’étudier l’introduction d’une interdiction de cumuler un mandat de parlementaire et un poste de direction dans ces institutions ou de règles plus rigoureuses. Une telle démarche est d’autant plus nécessaire que les politiciens qui exercent des mandats auprès des acteurs de la santé sont royalement indemnisés. Selon un recensement de la Jeunesse socialiste, le conseiller national UDC Thomas de Courten (45’000 CHF par an perçus auprès d’Intergenerika), le conseiller national du centre Lorenz Hess (164’000 CHF auprès de Visana) ou le conseiller national PLR Josef Dittli (140’000 CHF auprès de Curafutura) en sont des exemples, mais ils ne sont pas les seuls. Il est d’ailleurs interdit de cumuler les fonctions de parlementaire et de membre du conseil d’administration de la Suva. Pourquoi ce qui est valable pour un assureur public ne le serait pas pour les caisses privées ? Pour faire avancer des réformes, il serait judicieux d’instituer un Conseil de la santé, avec des compétences consultatives et décisionnelles et composé des différents acteurs du secteur : corps médical, hôpitaux, assureurs, industrie pharmaceutiques, organisations du personnel et de patients. Les chantiers sont immenses. C’est pourquoi l’audace est de mise.
Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste
Delémont, le 8 octobre 2023 / publié dans le Quotidien jurassien