Tribune de Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et autonomiste
Sans l’audace des militants autonomistes, le canton du Jura n’aurait jamais vu le jour. Une vérité qu’il est bon de rappeler à l’approche de la date anniversaire du plébiscite du 23 juin 1974.
De la culture aux infrastructures
Le combat jurassien a d’abord été mené au nom de l’histoire, de la défense d’une identité, de la culture et de la langue française. Mais cette lutte a aussi été porteuse au niveau socioéconomique. Depuis l’entrée en souveraineté, la population a progressé trois fois plus fortement dans le canton du Jura que dans le Jura bernois et l’emploi deux fois et demie plus vite. Plusieurs infrastructures n’auraient jamais vu le jour sans l’Etat jurassien : la Transjurane ; le raccordement ferroviaire au TGV Rhin-Rhône ; la Haute Ecole-Arc ; le Théâtre du Jura, symbole d’un canton où les arts de la scène jouent un rôle essentiel.
N’en déplaise aux timides, il faut continuer d’être audacieux et ambitieux.
Une ambition institutionnelle
La priorité va à l’intégration de Moutier, dossier dans lequel le gouvernement doit se montrer plus ferme, car Berne ne comprend qu’un seul langage, le rapport de forces. Il faut profiter de ce transfert pour mettre en place un cercle unique pour l’élection du parlement jurassien, afin de mettre fin à des réflexes régionalistes du XIXe siècle, au profit de l’émergence d’une conscience politique cantonale. Quant à un canton du Jura ne comptant plus que trois à six communes (initiative du PCSI), pourquoi pas ? Mais la réflexion ne saurait s’arrêter à un chiffre. Un tel projet nécessite une refonte globale des compétences des communes, de même que de leurs rapports avec l’Etat.
Une ambition sociale et écologique
Les politiques sociale et écologique doivent être étroitement imbriquées, car pour reprendre une expression des Gilets jaunes, « il ne faut pas opposer la fin du monde à la fin du mois ». Le salaire minimum jurassien doit être porté à 4’000 francs (contre 3’749 dès le 1er juillet), car il est très difficile de vivre avec un revenu inférieur. Le tissu des conventions collectives de travail (CCT) doit être renforcé pour éviter des distorsions de concurrence et parce qu’elles jouent un rôle essentiel contre le dumping salarial. Trop nombreux sont les patrons jurassiens qui n’ont pas encore compris que plus un salarié travaille dans de bonnes conditions, plus il sera productif. Dans cet esprit, la promotion de l’égalité entre hommes et femmes doit être accélérée. Suprême audace, on pourrait tester, durant six mois et dans une dizaine d’entreprises, la semaine de 4 jours (avec le même salaire, du moins pour les bas et moyens revenus), dont on découvre les avantages familiaux et sociaux, mais aussi les vertus écologiques (moins de transports notamment).
La politique environnementale doit aller de pair avec la promotion de l’emploi. On pourrait imaginer un programme cantonal d’assainissement des bâtiments, doté d’un financement public partiel. Les inquiétudes de la population par rapport à certains projets sont légitimes. Mais il faudra comprendre un jour que l’on ne pourra se passer à la fois du nucléaire, des énergies fossiles (pétrole, gaz), des énergies renouvelables (solaire, éolienne, autres) et renoncer à des économies ! Des choix s’imposent. Mais ces choix, contrairement à ce qu’a décidé la majorité bourgeoise du parlement, impliquent aussi qu’on se donne les moyens de les financer.
Une ambition culturelle
L’ouverture du Théâtre du Jura est un événement considérable. Mais une politique culturelle ne saurait reposer que sur une seule institution. D’autres mesures s’imposent :
• Offrir la gratuité des musées. Ce serait un atout touristique, et soulagerait les familles à revenu modeste.
• Augmenter l’aide à certaines institutions et projets culturels (créations d’avant-garde, cinémas d’art et d’essai, par exemple).
• Multiplier les efforts en vue d’attirer l’une ou l’autre antenne universitaire dans le Jura.
• Mieux défendre la langue française, en particulier au niveau des médias, de la publicité, des enseignes commerciales ou encore du sport.
• Le sport étant une forme de culture, fusionner les SR Delémont et le FC Bassecourt, afin de créer un grand club du foot jurassien, à l’instar du HC Ajoie.
• Apporter un soutien financier aux médias régionaux, qui jouent un rôle essentiel pour favoriser le débat démocratique.
Plusieurs de ces propositions ont un coût, certes, mais leur réalisation générerait aussi des emplois, et donc de nouvelles recettes fiscales.
Delémont, le 10 juin 2022