Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et autonomiste
Même si les élections européennes du 9 juin ont été marquées par une percée de l’extrême droite dans de nombreux pays, les scrutins législatifs qui viennent d’avoir lieu au Royaume-Uni et en France signalent un retour de la gauche sur le devant de la scène. Mais il faut s’en réjouir avec un optimisme modéré, surtout dans le cas de la France, et les deux situations sont difficilement comparables.
Royaume-Uni : redresser le pays
Au Royaume-Uni, le Parti travailliste a mis fin à quatorze ans de gouvernement conservateur, qui ont laissé aux Britanniques un sentiment de déclin découlant du Brexit et d’une forte baisse du pouvoir d’achat. Selon Le Monde, « les familles sont plus nombreuses que jamais à dépendre des banques alimentaires pour se nourrir. Il faut parfois des mois pour des rendez-vous médicaux dans le service public ». Nouveau premier ministre, Keir Starmer a pour objectif de redresser le pays, ce qui passe par une relance de la croissance, le redressement des services publics et le renforcement des droits des travailleurs. Disposant d’une confortable majorité (412 sièges sur 650), il a la capacité d’avancer dans cette direction. Mais il devra veiller à certains travers du Labour, qui a parfois donné trop de poids au marché par rapport aux attentes sociales. Keir Starmer n’échappera pas non plus à une clarification des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
France : l’unité paie
Au soir du 2e tour des législatives françaises et dans les jours qui ont suivi, la plupart des commentateurs ont fait part de leur surprise en constatant que le Nouveau Front populaire (NFP) était arrivé en tête. Mais surprise par rapport à quoi ? Aux sondages ? Certainement, ce qui montre que beaucoup d’analystes accordent trop d’importance à ces instruments, d’autant plus que selon le sociologue Pierre Bourdieu, « l’opinion publique n’existe pas », en ce sens que les sondages ne sont pas une réalité, mais une construction. Deux éléments ont permis à la gauche de l’emporter :
• Son unité. En 2017, les partis, alors divisés qui composent aujourd’hui le NFP, avaient obtenu 58 sièges, mais 133 en 2022, lorsqu’ils étaient réunis dans la NUPES, et 178 en 2022.
• Les désistements au sein du camp républicain (gauche et droite classique), phénomène amplifié par une dissolution qui a pris des allures d’auto-goal, Emmanuel Macron s’étant fourvoyé en faisant du Rassemblement national (RN) son seul adversaire
La menace persiste
Même s’il n’est arrivé qu’en troisième position, le RN constitue toujours une menace. D’abord parce qu’avec 10 millions d’électeurs et 143 députés (contre 89 en 2022), il est le premier parti du pays. Ensuite parce que s’il reste fortement implanté parmi les ouvriers et les employés, il pénètre désormais toutes les couches de la société. Il a progressé chez les cadres et les patrons, du fait qu’il a mis de l’eau dans son vin s’agissant de l’économie, de l’euro et de l’Europe. La sécurité et la haine des immigrés restent malgré tout son fonds de commerce, à tel point que même le régime de Vichy n’avait pas osé remettre en cause le droit du sol (Est français l’enfant, né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né).
Du déclassement à la reconquête
Le politologue Jérôme Fourquet a montré dans La France d’après (Seuil) que le vote RN provenait d’un sentiment de déclassement et de nombreuses frustrations. Plus une région est victime de la désindustrialisation et de la dégradation des services publics, plus l’accès à un médecin, à un hôpital ou à un commerce y est difficile, plus elle a tendance à voter pour l’extrême droite. Cette évolution a été favorisée par la politique d’Emmanuel Macron, qui n’a cessé de privilégier les catégories les plus riches tout en s’appropriant certains thèmes lepénistes, comme en témoignent la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes et la loi immigration.. Le NFP, en collaboration avec d’autres forces, comme les syndicats, se doit d’apporter des réponses concrètes dans les domaines qui préoccupent le plus les classes populaires : réduction des inégalités, pouvoir d’achat, santé, éducation, services publics Mais le succès du NFP dépendra aussi de la capacité de ses composantes à se respecter, ce qui suppose que Jean-Luc Mélenchon cesse de se prendre pour le maréchal des logis (équivalent d’un sergent-major) de la gauche et que la France insoumise (LFI) se démocratise. Pour faire avancer ses idées, la gauche a deux solutions : s’allier à des éléments modérés de la droite, ce qui paraît quasiment impossible, ou former un gouvernement minoritaire, comme Michel Rocard de 1988 à 1991.
Tribune parue dans Le Quotidien jurassien du vendredi 12 juillet 2024.