Le débat sur les retraites ne porte pas que sur l’âge et le genre, mais relève aussi de l’appartenance sociale. L’élévation de l’âge de la retraite de 64 à 65 ans serait certes préjudiciable pour toutes les femmes (et indirectement pour les hommes), mais celles qui gagnent entre 3’500 et 4’000 francs par mois en seraient plus affectées que celles qui touchent entre 8’000 et 15’000 francs.
Formation, santé et…
Plus généralement, l’espérance de vie des hommes de 30 ans ayant un niveau de formation correspondant à la scolarité obligatoire est inférieur de 4 ans à celui des hommes du même âge ayant fréquenté l’Université ou une HES. A cela s’ajoute le fait qu’en 2017, par exemple, 89 % des personnes de 45 à 64 ans avec une formation supérieure étaient en bonne santé (élément essentiel dans la perspective de la retraite), contre seulement 63 % de celles du même âge ayant seulement fini l’école obligatoire. Citée par le Syndicat des services publics, une étude de référence portant sur l’Angleterre au début de ce siècle, a établi qu’entre les zones d’habitation les plus aisées et les plus pauvres, la différence d’espérance de vie était de …17 ans !
… revenus
La relation entre retraite et classe sociale est universelle. En France, l’espérance de vie des égoutiers est inférieure de 17 ans à la moyenne, selon les historiens Ludivine Bantigny et Ugo Palheta (Face à la menace fasciste, Textuel, 2021). Si l’on considère le monde ouvrier dans son ensemble, l’espérance de vie y est presque sept ans inférieure à celle des cadres, et davantage encore si l’on prend en compte l’espérance de vie alors que l’on est encore en bonne santé. La même espérance de vie augmente en fonction du revenu. Selon l’Observatoire des inégalités, celle-ci est de 75,2 ans pour ceux qui touchent le SMIC (1’578 euros brut), de 80,1 ans pour un salaire de 2’500 euros, et de 83,6 ans pour un gain mensuel de 5’000 euros. Qui a dit que nous étions tous égaux face à la retraite et à la mort ?
Après 40 ans de boulot
Tout cela plaide en faveur du rejet de l’initiative des jeunes libéraux-radicaux (prochaine étape du combat) qui vise à porter l’âge de la retraite à 66 ans pour les hommes comme pour les femmes et, dans un deuxième temps, à aligner automatiquement l’âge de la retraite sur la progression de l’espérance de vie ! Mais ces données confirment surtout la nécessité d’un système de retraite flexible, tenant compte non seulement de l’âge, mais avant tout des années de cotisations et de la charge du travail. « La retraite après quarante années d’activité professionnelle ou dès 60 ans, du moins pour celles et ceux qui ont pratiqué des métiers pénibles, est réaliste et financièrement supportable », écrivait voici quelques années Stéphane Rossini, ancien conseiller national (PS/Valais), aujourd’hui directeur de l’Office fédéral des assurances sociales (La gauche fait le poing, Favre, 2015). Il ajoutait que des systèmes plus généreux ont d’ailleurs déjà été mis en place par les partenaires sociaux dans certaines branches économiques, en particulier dans la construction (retraite possible dès 60 ans), dans plusieurs branches de l’artisanat (retraite à 62 ou à 63 ans) et dans l’horlogerie (possibilité de partir une année avant l’âge légal ou de réduire son temps de travail durant ses deux dernières années d’activité professionnelle). Une « révolution » de cette ampleur nécessiterait bien sûr une importante révision de l’AVS, mais aussi de la loi sur la prévoyance professionnelle (2e pilier).
BNS et CAC 40
Ces innovations ne seraient bien sûr pas neutres financièrement. Mais tant en Suisse qu’en France (où Emmanuel Macron veut faire passer l’âge de la retraite de 62 à 65 ans) les moyens matériels permettant de mettre en place des systèmes de retraite dignes de ce nom existent. Même si la Banque nationale (BNS) connaît des difficultés passagères, elle peut, à long terme, contribuer de manière importante au financement de l’AVS, comme le préconise une initiative populaire de l’Union syndicale suisse (USS). Chez nos voisins, les quarante plus grandes entreprises cotées en bourse (CAC 40 dont font notamment partie Alsthom, Bouygues, Danone, L’Oréal, Renault, Carrefour, LVMH ou Michelin) ont réalisé un bénéfice cumulé de 81 milliards d’euros au premier semestre de cette année. Au lieu de finir exclusivement dans la poche des actionnaires, cette manne ne pourrait-elle pas aussi contribuer au financement des retraites, en particulier des rentiers les plus défavorisés ?
Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical
Delémont, le 9 septembre 2022 / pch