Le Conseil national rejette l’initiative de limitation de l’UDC

La Chambre du peuple a recommandé ce mercredi de rejeter par 123 voix contre 63 l’initiative dite “pour une immigration modérée” qui vise à résilier la libre circulation des personnes.

Pierre-Alain Fridez est monté à la tribune, son intervention à lire ci-dessous ou à voir en vidéo ici: https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-videos?TranscriptId=252672

Chers collègues,

Le texte de l’initiative est clair et limpide même… : « la libre circulation des personnes cesse d’être en vigueur dans les 12 mois qui suivent l’acceptation de l’initiative par le peuple et les cantons »… ou encore…. » la Suisse règle de manière autonome l’immigration des étrangers »… « aucun nouveau traité international ne sera conclu et aucune autre nouvelle obligation de droit international ne sera contractée qui accorderait un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers »…

Pendant une année le Conseil Fédéral pourra tenter de négocier avec l’Union Européenne pour que l’accord actuel sur la libre circulation des personnes cesse d’être applicable, et surtout le changer… mais le temps imparti sera d’office trop court et aucun accord ne pourra être trouvé ; Il suffit de se rappeler les difficultés actuelles concernant les discussions sur l’accord-cadre ou toute la problématique que vit l’Europe avec le Brexit anglais…Il faut laisser du temps au temps, et l’initiative UDC ne nous en laissera pas :  la clause guillotine va s’activer et les accords bilatéraux vont mourir de leur belle mort. Il est bon de rappeler que ces accords bilatéraux concernent entre autre la recherche, l’agriculture, les marchés publics, les transports terrestres, le transport aérien ou encore la suppression des obstacles techniques au commerce… et donc aux exportations… Et la Suisse ne pourra conclure de nouveaux accords…

Le texte précise encore que la Suisse règlera de manière autonome l’immigration des étrangers…La belle affaire, le retour aux contingents des années 50…

Cette initiative a en tout cas le mérite d’être claire et ses conséquences évidentes. Un texte encore plus transparent que celui que le peuple Suisse avait accepté de justesse en février 2014 avec les conséquences que l’on subit toujours, jusqu’à aujourd’hui avec un dossier complexe dont on peine parfois à voir l’issue…

L’UDC, pourtant un parti gouvernemental, donc un parti normalement censé contribuer à trouver avec les autres partis des solutions consensuelles pour répondre aux intérêts supérieurs de l’Etat, poursuit à travers cette initiative, son  grand rêve, celui d’une Suisse devenue un îlot replié, recroquevillé sur lui-même, seul au milieu du reste du monde, dans ce monde où pullulent  de dangereux étrangers qui veulent profiter de nous…

Pourtant, notre pays jouit actuellement d’une situation extrêmement favorable et profite de son commerce extérieur, de son tourisme, de ses bonnes relations avec l’étranger. Il bénéficie de tous les avantages de son ouverture sur le monde. Croissance économique, stabilité politique, niveau de vie élevé, situation de paix, la Suisse étant de fait, protégée au milieu de l’Europe et du monde occidental par la puissance économique et militaire déployée par les pays qui nous entourent. La Suisse tire profit de ses relations avec les autres, gagne 1 franc sur 2 à l’étranger et jouit d’une situation tellement stable qu’elle attire les investisseurs étrangers, car l’investissement recherche la stabilité… et notre situation actuelle rassure… 

Il suffit d’imaginer ce qui se passe en Angleterre actuellement, pour bien comprendre que la fin des accords bilatéraux, la fin de la libre circulation des personnes pourrait nous conduire à des difficultés inimaginables et une période de trouble et d’instabilité. Voulons nous vivre un Brexit à la sauce helvétique ? 

Une grande majorité du peuple suisse, échaudée par l’expérience du 9 février 2014, devrait logiquement s’opposer à ce texte et j’ai l’intime conviction que même les plus fins stratèges de l’UDC ne souhaitent pas le succès de leur initiative. Ils recherchent juste ce type de débats pour alimenter la xénophobie latente qui couve dans l’esprit d’une partie du peuple suisse et cela à des fins purement électoralistes.

Chers Collègues, c’est vrai, nombreuses sont les personnes dans notre pays qui vivent mal les questions migratoires. Certaines personnes se sentent laissées sur le bord de la route et supportent mal cette concurrence de l’étranger, une concurrence ressentie souvent comme une menace. Je pense en particulier aux habitants des régions frontalières ou aux personnes proches de la retraite qui ont perdu leur emploi et il est de notre devoir d’apporter à nos concitoyennes et concitoyens concernés par ces sentiments, des réponses claires. Le Conseil Fédéral vient de décider d’aider les personnes en fin de carrière professionnelle qui seront en difficultés par l’introduction d’une rente-pont. En réponse à l’initiative de 2014 notre parlement a décidé d’offrir aux personnes cherchant un emploi et vivant en Suisse une certaine préséance dans l’accès par les ORP aux informations sur des postes de travail à disposition. C’est un pas, mais il faut certainement en faire plus. Ce que je sais c’est que dans ma région, le Jura, la question des frontaliers est une question récurrente. Et sur ce sujet j’ai l’habitude de répondre aux personnes inquiètes qu’en fait aucune personne frontalière ne vient travailler sur sol suisse sans qu’un patron établi en Suisse ne décide de l’engager. Et dans certains cas d’aucuns favorisent ces embauches, car elles permettent de pousser les salaires vers le bas…Alors quelles réponses donner : des salaires minimaux corrects afin de rendre les postulations des autochtones concurrentielles, et un renforcement des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes… et sur ces points l’UDC met régulièrement les pieds contre le mur… Et dans les débats sur l’accord-cadre avec l’Union Européenne, des mesures de protection sociale et sur les salaires sont essentielles. Nous devons nous ouvrir au monde, mais il ne faut laisser personne au bord du chemin chez nous. La croissance doit aussi profiter aux plus pauvres et à l’ensemble des travailleurs. C’est une obligation si l’on ne veut pas alimenter la xénophobie chez nous et donner du grain à moudre aux partis populistes. Enfin j’estime qu’il est de la responsabilité morale des patrons, de celles et ceux qui engagent, d’assumer un rôle déterminant et de clairement privilégier les personnes qui habitent sur territoire suisse, qu’elles soient Suisse ou étrangère.

Chers Collègues, c’est une initiative pour rien, une initiative dangereuse, une initiative purement électoraliste. Cette initiative mérite la réponse que nous allons lui donner. 

Delémont, le 25 septembre 2019

Autres articles