Salaires plus justes : roulez Michelin !

Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical

L’assemblée des actionnaires du groupe Stellantis (Peugeot, Citroën, Opel et d’autres) a récemment entériné, à hauteur de 70 % des voix, le salaire de son patron, Carlos Tavares, fixé à 36,5 millions d’euros pour l’année 2023. Il est ainsi le patron le mieux payé de toute l’industrie automobile mondiale. Il est vrai que Carlo Tavares a pour habitude de se comparer aux grands patrons étatsuniens. Or, qu’est-ce que 36,5 millions par rapport aux 226 millions touchés en 2022 par Sundar Pichal, big boss de Google-Alphabet !

Salaire de Tavares : exorbitant

Le quotidien Le Monde a qualifié cette rémunération « d’exorbitante ». Et pour cause, puisque Carlos Tavares va percevoir pour son travail accompli l’année dernière … 518 fois le salaire moyen annuel chez Stellantis (70’404 euros) ou encore 1’586 années de ce que touche un salarié intérimaire qui travaille à la chaîne dans l’une des usines françaises du groupe, opérateur payé au SMIC qui ne touche évidemment aucune participation au bénéfice du groupe.

Michelin : salaire décent …

Patron du fabricant de pneus Michelin, Florent Menegaux a pour sa part touché 3,8 millions en 2023. C’est encore énorme. Mais c’est tout de même dix fois moins que Carlos Tavares. Ce qui est beaucoup plus important, c’est que Michelin vient d’annoncer la mise en place d’un « salaire décent » pour l’ensemble de ses 130’000 salariés dans le monde, doublé d’un « socle de protection sociale universel ». Michelin veut ainsi garantir à chacun de ses salariés, sur tous les continents, de pouvoir « subvenir aux besoins essentiels » d’une famille de quatre individus. Pour atteindre ce salaire décent, 5 % des 132’000 salariés de Michelin dans 175 pays devront être augmentés.

…  plus haut que le SMIC

En France, où Michelin a souvent été surnommé Bibendum (bonhomme Michelin), ce salaire plancher représente 25’356 euros à Clermont-Ferrand (où  travaillent près de la moitié des plus de 20’000 employés du groupe dans l’Hexagone, et atteint 39’638 euros à Paris, où le coût de la vie est nettement plus élevé. Résultat : chez Michelin, la médiane des salaires au plus bas de l’échelle se situe déjà à 49 % au-dessus du SMIC, qui est actuellement fixé à 21’203 euros bruts. « Cette annonce, souligne Jean-Christophe Féraud, chroniqueur politique à Libération, aura donc peu d’impact pour les salariés français de l’entreprise plus que centenaire. Mais elle constitue une excellente nouvelle pour des dizaines d’employés dans le reste du monde qui ne bénéficient pas, loin s’en faut, du niveau  de salaire hexagonal. »  En Chine, par exemple, le salaire « décent » représentera 2,3 fois le salaire minimum.  Ce rapport sera grosso modo le même au Brésil, alors que dans ce pays comme dans de nombreux autres, les salariés bénéficieront d’une extension conséquente de la protection sociale : quatorze semaines de congé maternité et quatre semaines de congé paternité rémunérées, couverture santé complète et, en cas de décès, versement d’un capital équivalent à un an de salaire, rente éducative pour les enfants, etc.

De Michelin à l’UBS ?

Jean-Christophe Féraud estime que ces innovations sociales relèvent aussi d’un coup de com. « Mais, ajoute-t-il, il faut reconnaître au geste de Michelin sa valeur d’exemplarité quand l’essentiel des grandes entreprises qui pourraient le faire ne veulent pas augmenter leurs employés au-delà de l’inflation. » Le fabricant de pneumatiques est en outre bien plus concret que le Premier ministre Gabriel Attal. En effet, celui-ci assure vouloir « désmicardiser » la France, alors qu’entre 2021 et 2023, le nombre de smicards a bondi de 1 million et une personne sur cinq est payée au SMIC ! L’exemple de Michelin pourrait aussi donner des idées à quelques sociétés suisses, UBS par exemple. Patron de la grande banque helvétique, Sergio Ermotti a touché plus de 14 millions pour 9 mois de travail, ce qui correspond à un salaire annuel de près de 19 millions. C’est l’équivalent de 350 années de travail pour quelqu’un qui perçoit 4’500 francs par mois, montant du salaire minimum revendiqué par l’Union syndicale suisse. Mais il faudra créer d’autres rapports de force pour faire bouger les choses dans ce secteur. Car comme Carlo Tavares, Sergio Ermotti ne s’intéresse qu’à ses profits et à ceux de son entreprise, mais pas aux humains. A l’inverse, Florent Menegaux estime être « extrêmement bien payé » Ses collègues de Stellantis et d’UBS pourraient peut-être emprunter le même chemin…

Tribune parue dans Le Quotidien jurassien du 8 mai 2024.

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